Après des jours heureux, où vous avez profité de chaque instant, avez appris votre langue cible avec la rapidité d’un enfant de trois ans, vous en avez marre. Vous êtes déprimé, vous sentez que vous n’arriverez jamais à parler cette langue. Tous les apprenants en ont fait l’expérience au moins une fois de cette envie d’abandon : le point de rupture. Bien évidement, regarder une série débile, appeler vos parents ou une ex, et manger un camembert aident à merveille. Ici, j’aimerais aborder avec vous le problème sous l’angle linguistique. Alors, comment passer le point de rupture et continuer notre ascension vers la maîtrise maximale ?
Souvenez vous, l’été dernier…
Dans le premier article de ce site, j’ai souligné l’importance de placer un certain nombre d’ancrages sur votre chemin, qu’il est maintenant temps de faire remonter à la surface. Réécoutez cette chanson, revoyez ce film qui vous a fait commencer à apprendre votre langue. Les ancrages ont la capacité de vous replonger dans l’état mental dans lequel vous étiez au moment où vous les avez jetés. Double effet positif en ce qui nous concerne : tout d’abord, vous allez revenir au moment où apprendre votre langue cible était un passe temps et non un poids. Ensuite, vous allez réaliser le chemin que vous avez parcouru pour vous rendre compte que vous êtes beaucoup plus proche du sommet que vous vouliez bien le penser. Après avoir réactivé ces souvenirs, prenez le temps de relire votre carnet de route sur vache espagnole.
Lisez TOUT le journal, de manière attentive. Les dates, les anecdotes, les encouragements des autres membres, prenez le temps de vous replonger dans votre chemin, dans tout ce que vous avez fait, vous vous rendrez compte que votre déprime actuelle est une étape vers la maîtrise. Comme je vous montrerai dans le chapitre qui suit, plus qu’une simple étape difficile à passer, c’est la plus importante de tout votre apprentissage !
Pour ceux du fond
Que faire si vous n’avez pas suivi les conseils de l’article ‘avant de commencer’, si vous n’avez pas écrit de journal ? Ne vous inquiétez pas, il existe toujours des ancrages. Dans la vie, on change un certain nombre d’habitudes : nouvelle playlist, nouveaux vêtements, aliments différents ou simplement horaires différents (de coucher, de travail etc). Afin de vous replonger dans votre « lune de miel linguistique », réactivez ces ancrages passifs en vous concentrant sur le chemin que vous avez parcouru, comme nous avons vu plus haut. Ce petit exercice d’auto-hypnose marche en général pour les gens qui ont du mal à garder des traces précises de leur apprentissage.
Bien évidement, écouter une vieille musique fonctionnera mieux pour les personnes auditives, les kinesthésiques préféreront porter de vieux vêtements ou se faire un repas oublié, les visuels préféreront les images. Étant auditif, je me fais régulièrement des playlists différentes afin de garder une emprunte sensorielle que je peux réactiver à tout moment pour différents besoins. Gardez bien à l’esprit que les ancrages que vous n’avez pas activé depuis la période que vous souhaitez faire remonter à la surface sont ceux qui seront les plus efficaces, surtout si vous les avez activé beaucoup par le passé.
Un sentiment d’échec qui est la preuve de vos progrès
Le changement de perspective va aussi vous amener à réaliser les progrès que vous avez réalisé, Comme l’ont montré Dunning et Kruger, il existe une différence constante entre notre niveau perçu et notre niveau réel, Plus une personne a un niveau faible dans un domaine donné, plus elle a tendance à surestimer ce niveau. A l’inverse, les personnes performantes ont tendance à se sous-estimer, comme le montre ce graphique tiré de leur article Unskilled and Unaware of It. J’ai développé cette notion plus en détail dans l’article dédié à l’effet DK.

J’ai pu constater le même biais dans l’apprentissage des langues. C’est particulièrement le cas lorsque vous vous expatriez : une bulle explose. Vous n’êtes plus au milieu d’autres étudiants à parler à un professeur habitué à entendre sa langue se faire gentiment massacrer. On sous-estime souvent la capacité de compréhension orale des professeurs de langue étrangère. Croyez moi, c’est mon métier. Si vous êtes expatrié, vous vous exprimez dans un environnement principalement formé de locuteurs natifs s’adressant à d’autres locuteurs natifs. C’est alors qu’arrive le moment fatidique où, au lieu de vous rendre compte de ce que vous savez, vous prenez conscience de manière violente de tout ce que vous ignorez. Je reviendrai plus en détail dans un prochain article sur ce que j’appelle le « point matrix ».
Vive la crise!
Il existe deux types d’apprenants: ceux qui réussissent et ceux qui arrêtent avant de réussir. C’est d’autant plus vrai que nous apprenons tous une compétence que des enfants de 5 ans maîtrisent mieux que ce que certains d’entre nous n’osent pas rêver dans leur projections les plus folles. Rendez-vous bien compte d’une chose et rappelez vous en à chaque fois que vous traversez une crise: vous avez deux choix très simples. abandonner, et perdre tout ce que vous avez fait auparavant, ou continuer jusqu’au prochain point de rupture.
D’après mon expérience d’apprenant et surtout de professeur, il n’y a souvent pas plus d’une ou deux grandes crises avant d’avoir atteint un bon niveau de compréhension. Si vous êtes en train d’en vivre une, c’est donc qu’il a de fortes chances pour que votre choix se résume entre l’échec et le succès. Mangez votre fromage, buvez votre verre de vin, allez vous coucher, et continuez demain, vous êtes en route pour la réussite!